1) Le spectacle

Jeanne d'Arc, entre légende et réalité.

 

« Ô Jeanne, sans sépulcre et sans portrait,

toi qui savais que le tombeau des héros est le cœur des vivants... »

André Malraux

 

La guerre est consommée entre les biographes de Jeanne d'Arc.

Les survivistes, les nihilistes, les fabulistes, les Catholiques, les Armagnacs et les Bourbons se déchirent depuis six cents ans.

Chacun est persuadé de détenir une vérité qui se construit au fil des siècles.

Putain ou sorcière? Entre la fille naturelle du roi, la bergère par obligation diplomatique que l'on mènera au bûcher, l'aventurière féministe et l 'illuminée mystique, sincère qui mourra de vieillesse sous le nom de Claude des Armoises, Jeanne est balancée d'une identité à l'autre, d'une histoire à l'autre.

Comme toutes les histoires officielles écrites par des historiens trop proches du pouvoir pour être honnêtes, la vie de Jeanne, emplie de mystères et d'énigmes nous rappelle à l'ordre et nous invite à moins de crédulité.

C'est sous les effets d'une naïveté grégaire que certains s'accaparent le mythe en développant encore et toujours une image traditionnelle et rassurante du héros.

En accèdant au mythe, certains partis politiques dérobent au peuple une des figures qui se voua à lui.

 

Malgré les recherches intègres et les guerres de clochers persistantes, nous ne saurons probablement jamais qui est la véritable Jeanne d'Arc.

 

Ce qui m'importe dans « Jeanne Dark » n'est pas de clore le débat par l'apport d'une énième vérité, mais au contraire de fournir aux spectateurs une vue d'ensemble sur le personnage, lui révélant ainsi les visions johanniques tant controversées.

 

Chacun devra se faire une vision personnelle de la Pucelle d'Orléans, se souvenir qu'aucune vérité n'est définitive, avoir envie de revendiquer plus d'intégrité de la part des érudits d'hier et des journalistes d'aujourd'hui, mais surtout posséder les éléments pour que jamais nous n'acceptions la récupération politique de notre histoire.


2)Intentions de l'auteur

 

Pour cela, l'écriture se construit principalement autour de deux « Jeanne ».

Un troisième personnage manipule les héroïnes en les forçant à sortir de leur condition légendaire.

Il provoque un duel spectaculaire en les invitant à se définir, chacune, comme étant la véritable Jeanne.

La guerrière formée aux codes de la monarchie affrontera la bergère illuminée.

N'est pas celle que l'on croit qui gagnera.

Elles seront toutes les deux anéanties par le tiers, montreur infernal, animateur dévoyé, coach prédateur, arbitre pervers qui prouve être l'unique Jeanne, celle que l'Église a canonisée après l'avoir brûlée, celle que quelques fascistes tentent de récupérer par leur intolérance quand Jeanne prônait une vision juste et divine du monde.

 

Quatre variations d'écriture pour trois « Jeanne »:

Chaque personnage impose une différence d'écriture à l'intérieur de chaque monologue.

Une écriture pour une substance, isolé, chacun exprime ses convictions, ses ambitions au gré d'un rythme personnel, d'un phrasé propre, leur appartenant secrètement.

La musicalité originale de la formulation varie en fonction des diverses facettes de Jeanne qu'incarne chaque personnage.

À la lumière publique, lors de leur rencontre, les « Jeanne » énoncent leur vérité, leur combat aux couleurs d'une rhétorique « sociale », il n'est plus question, ici, de se livrer avec authenticité, mais bien d'entrer dans le discours codifié qui fait entrer dans la légende.

3) Intentions de mise en scène

 

La scénographie rappelle un espace de combat mis à plat, ring de catch ou tatamis.

Cet espace est celui des illusions publiques où tous jouent un rôle.

Ici, les masques sont de rigueur, on offre à l'autre ce qu'il attend, de croire, de voir, d'entendre.

Le grand rectangle blanc sur lequel les personnages « combattent » se reflète en un jeu de miroir et de symétrie au dessus d'eux, sur cette surface sont projetés à l'aide de vidéo projecteur, les états d'âmes des protagonistes, comme le contrepoint d'un destin fabriqué.

Ils se retrouvent ainsi pris entre leur espace de jeu qui deviendra espace de feu et l'écran de leurs fantasmes, comme on peut-être pris au piège entre deux destins antinomiques.

Trois bidons métalliques ornent le tapis de jeu. Ils symbolisent la force, la beauté et la sagesse auxquelles prétendent les personnages, ils sont aussi les abris de ceux-ci avant que l'inéluctable ne les fasse s'y consumer aux brasiers de leur vanité.

 

La direction d'acteur, autant que la mise en scène, s'engage à offrir une lisibilité accrue des méandres psychologiques des personnages, les zones extérieures et privées à chacune des « Jeanne » se définissent comme un écrin où l'empathie entre spectateurs et personnages agit.

Ces espaces s'opposent au lieu public où « brûlent » les lumières de la publicité.

L'arbitre se doit d'être entier et crédible dans sa fonction d'entremetteur sans jamais laisser entrevoir l'effet de surprise du final. Il trouve sa densité aux facettes qui le composent évoquant tour à tour les travers de l'humanité, ceux-là mêmes qui nous engluent au fil du temps, ceux avec qui nous avons tant de talent pour nous en arranger.

Du ton confidentiel, existentiel et abrupte du début, à l'éloquence ostentatoire et manichéenne finale, le spectacle croît dans un élan qui recherche le vertige liées aux incertitudes que l'on rencontre les jours de grande démystification, quand nos croyances se brisent.

 

Les costumes n'évoquent pas, ils affirment l'identité des personnages en ne se souciant pas des réalités temporelles. La virginale bergère se voit drapée de coton humble et de laine immaculée, sa robe est la représentation parfaite de celle inventée par les artistes peintres du 19ème siècle.

La guerrière, caparaçonnée dans une gangue de cuir, de latex et de métal chromé affirme son appartenance aux références des jeux vidéos issus des bandes dessinées « héroïc fantasy ».

 

L'arbitre coach emprunte sans vergogne aux lignes des tenues sportives des sports de combats mixant les caractéristiques les plus identifiables dans chaque discipline. Au final, il se recouvre de kakemonos et de drapeaux tricolores avant de s'immoler aux diktats d'une humanité à la conscience paresseuse.

 

 




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